Dans un livre récent*, ATTAC consacre un chapitre à «Dix propositions pour une politique fiscale solidaire». Cet article reprend, dans une version raccourcie, un certain nombre de ces propositions.
Une politique fiscale solidaire doit bénéficier à toutes et tous. Elle doit permettre d’assurer des prestations sociales pour les plus démunis et de financer des infrastructures de service public efficace. Quelques propositions pour aller dans le bon sens.
1. Lutter contre les paradis fiscaux, fin de la distinction entre fraude fiscale et évasion fiscale, lutte sérieuse contre la fraude fiscale. Une lutte efficace contre la fraude fiscale supposerait en premier lieu la mise sur pied d’un dispositif de contrôle fiscal fédéral et la suppression du secret bancaire. Une telle mesure porterait en outre une atteinte sérieuse aux intérêts des fraudeurs étrangers, qui profitent des dispositions légales helvétiques pour frauder des montants colossaux. Une étude récente de la Déclaration de Berne estime à un quart du PIB allemand les montants soustraits à l’impôt en Allemagne et placés dans les paradis fiscaux voisins que sont la Suisse, le Lichtenstein et le Luxembourg.
2. Une limite à la sous-enchère fiscale intercantonale. La concurrence fiscale entre les cantons est une spirale sans fin: si les impôts baissent dans un canton A qui veut attirer les contribuables, les cantons B, C et D situés autour de A décident peu après de diminuer, eux aussi, leurs impôts. L’avantage fiscal obtenu par le canton A est remis à zéro, il ne reste qu’à recommencer. Finalement, les caisses de l’Etat sont asséchées sans contrepartie positive. Il convient donc de limiter étroitement les écarts entre les taux d’imposition cantonaux, particulièrement dans le domaine de la fiscalité des entreprises.
4. Renforcement de la taxation progressive des revenus et extension des impôts directs fédéraux à la fortune. Halte au remplacement des impôts directs par les taxes indirectes régressives. Le démantèlement des impôts directs et leur remplacement par des impôts indirects doit cesser. Il n’est pas question de remettre en cause les mesures fiscales incitatives (taxes sur le tabac, par exemple), mais il convient de s’opposer au démantèlement de la fiscalité directe et d’exiger en particulier un prolongement vers le haut de la progressivité des impôts sur le revenu. 3’200 personnes très fortunées profitent en Suisse d’arrangements forfaitaires pour s’acquitter de leurs impôts, qui peuvent ramener, dans certains cas, leur taux d’imposition à des chiffres de l’ordre de 2% de leurs revenus totaux. Les taxes forfaitaires favorisant les plus fortunés doivent être supprimées.
5. Taxation des gains en capitaux et des mouvements spéculatifs de capitaux. Alors qu’aujourd’hui des bénéfices immenses sont réalisés à partir de mouvements financiers spéculatifs, rien ne vient frapper les revenus réalisés grâce à de telles opérations. Au contraire, au nom de la «compétitivité de la place financière suisse», les faibles droits de timbre ont été supprimés pas à pas. Ce vide législatif invite à développer rapidement – et avec toutes les forces de la gauche européenne – des mesures légales permettant au fisc de saisir les bénéfices ainsi réalisés, trop souvent sur le dos des salarié-e-s. L’absence d’imposition des gains en capitaux en Suisse est une célébrité de notre système fiscal qui permet très facilement de contourner l’imposition des bénéfices des entreprises.
6. Impôt fédéral sur les successions. La plupart des cantons ont supprimé ou fortement réduit ces dernières années les impôts sur les successions, en particulier en ligne directe. De tels impôts touchent avant tout – et modérément – les plus aisés et les très grosses fortunes. Dans le canton de Vaud par exemple, où les libéraux ont lancé une initiative visant à supprimer l’impôt sur les successions et donations en ligne directe, 81% des 4567 successions entre parents et enfants frappées par l’impôt entre juillet 2001 et juillet 2002 n’ont acquitté qu’à peine 9.3% du produit total de l’impôt sur de telles successions. Au contraire, 1% de ces successions – portant sur des fortunes très élevées, d’en moyenne 17 millions chacune – rapportent à elles seules 57% du produit total de l’impôt sur les successions en ligne directe, avec un taux d’imposition maximal de 4%! Le démantèlement des impôts cantonaux sur les successions est regrettable: il laisse néanmoins la voie libre à l’instauration d’un impôt fédéral sur les successions, qui tomberait à pic pour contrer le discours de la droite sur le trou des caisses fédérales.
9. Mise sur pied d’égalité fiscale entre propriétaires et locataires. Si les locataires ne peuvent en principe pas déduire leur loyer de leur revenu imposable, les propriétaires peuvent, eux, déduire les frais hypothécaires de leur revenu imposable, jusqu’à concurrence de la valeur locative de leur maison. Cette façon de faire privilégie injustement les propriétaires et – puisqu’elle désavantage ceux d’entre eux qui remboursent rapidement leur dette hypothécaire – contribue à rediriger les montants d’impôts épargnés sous forme d’intérêts en direction des coffres des banques. La prise en compte des dettes hypothécaires dans le calcul fiscal doit être strictement limitée et les locataires doivent pouvoir bénéficier d’avantages fiscaux sous forme de crédits d’impôts.
10. Suppression des déductions fiscales aux impôts directs. Depuis des années, les partis bourgeois claironnent qu’ils veulent adopter des mesures fiscales favorables «aux familles». Fort bien. Ce qu’ils ne précisent pas, c’est qu’ils pensent d’abord aux familles riches. Quelle est généralement la mesure vendue avec cette étiquette? Il s’agit – comme cela était le cas dans le paquet fiscal rejeté en mai 2004 – de prôner l’élévation de la franchise fiscale qui peut être déduite du revenu imposable. Or, calculées ainsi, les déductions fiscales profitent surtout aux plus riches.
* ATTAC (2007): Kassenkampf. Argumente gegen die leere Staatskasse. Rotpunktverlag. Une traduction du livre en français est en préparation.