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La fin du taux plancher, le choix de la finance

Article paru dans PdG N° 145

Au vu de l’ampleur de ses conséquences réelles ou imaginées, la décision de la BNS d’abolir le taux plancher du franc laissera durablement des traces au sein de la bourgeoisie helvétique en la divisant d’une manière peu commune. Ce clivage, propre à la défense d’intérêts sectoriels divergents, a éclaté d’une manière beaucoup plus profonde sur le plan politique, économique et idéologique. Toutefois, il s’agit de contradictions internes à la bourgeoisie et la remise en cause des théories d’une économie équilibrée par essence n’est pas à l’ordre du jour.

Des outils macroéconomiques

Les prérogatives d’une banque centrale ont connu des évolutions importantes depuis la création de la Banque d’Angleterre en 1694. Cette dernière avait alors pour tâche de frapper la monnaie, sans toutefois en disposer du monopole, mais non d’en augmenter la quantité, d’en réguler la valeur ou d’assurer le crédit de la couronne en tant que prêteur de dernier ressort. Cela fût progressivement introduit au cours du développement du système capitaliste et de ses crises. En effet, ces dernières ont pris de l’ampleur avec la croissance du secteur bancaire et financier et la nécessité de politiques coordonnées trouva alors dans la banque centrale une autorité toute choisie. A titre d’exemple, la Fed américaine fut établie en 1913 à la suite de la crise financière de 1907 afin d’assurer des liquidités en tout temps. Au fil des crises, le mandat des banques centrales s’est donc accru pour agir de manière plus musclée sur les conditions macroéconomiques et la politique monétaire s’est dotée d’instruments qui ont été plus ou moins utilisés selon les écoles économiques. Ces différentes doctrines établissent ainsi des priorités potentiellement contradictoires favorisant la lutte contre l’inflation, la promotion de la croissance ou alors l’action sur l’emploi.

Favoriser la finance

La décision de fixer un taux plancher par la BNS, politique impensable jusque là pour la bourgeoisie helvétique, démontre qu’en cas de nécessité les préceptes de l’orthodoxie libérale sont des notions subjectives. Il s’agissait alors d’éviter d’être pris en tenaille entre la crise de l’Euro et le statut de valeur refuge du franc en conciliant temporairement les intérêts divergents d’un secteur de l’industrie dépendant des exportations et d’un secteur financier nécessitant une monnaie forte pour faire face aux pressions internationales sur la fiscalité. Ce faisant, la BNS a touché au tabou des taux de changes libres datant de 1971. Parallèlement, la crise durable affectant les principales zones économiques et les politiques monétaires non conventionnelles utilisées pour y répondre ont provoqués une dépréciation considérable des monnaies de références. Ces interventions ont mécaniquement engendré une appréciation importante du franc à laquelle la BNS a répondu par l’achat de devises étrangères. En janvier 2015, la décision de la BCE d’injecter d’importantes liquidités à l’instar de la Fed américaine, et sa conséquence, la BNS aurait dû massivement acheter des euros pour maintenir le taux plancher, allait fortement lier le franc à l’euro. La BNS a alors fait le choix de favoriser le secteur financier en maintenant une monnaie indépendante à travers la liquidation du taux plancher au grand dam du secteur de l’industrie.

Une banque au service du peuple

En réaction, la droite comme la gauche n’ont pas manqué d’égratigner le directoire de la BNS. Entre les éloges du retour à l’orthodoxie libérale émanant de la classe financière, les complaintes de la bourgeoisie industrielle et les critiques de la gauche relatives aux répercussions sur l’emploi, force est de constater qu’une analyse plus en profondeur est peu audible. En effet, la question n’est pas de savoir si la BNS peut défendre un taux plancher, elle a déjà démontré que cela est possible, ou si cela est désirable, la réponse est clairement oui. Il s’agit plutôt de savoir si cette compétence est uniquement du ressort de la BNS étant donné l’impact macroéconomique de ses décisions. Dans ce sens, rares ont été les interventions remettant en cause le dogme de l’indépendance de la Banque centrale, comme si les décisions de cet acteur relevaient d’une dimension technique alors que celles-ci, par essence, touche l’ensemble de l’économie et sont donc politiques et idéologiques. Au final, la fixation d’un taux plancher est certes importante, mais une réponse de gauche doit démontrer que les questions touchant l’économie ne sont pas uniquement de la compétence de la BNS et doivent donc être débattues dans l’ensemble de la société avec une pesée d’intérêts dont l’emploi constitue une priorité absolue.

Dario Chiaradonna

Sébastien Schnyder

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